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Discours de Sa Majesté le Roi à la Conférence Internationale du Travail

20 juin 2019

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur-Général,
Mesdames et Messieurs les membres de la Conférence,

Je suis heureux de pouvoir participer à votre session du centenaire. C’est une occasion pour tous nos pays de réaffirmer notre attachement à l’avancement de la justice sociale et à la promotion du travail décent. L’Organisation Internationale du Travail étant la plus ancienne institution du système onusien, c’est aussi une occasion de rappeler notre foi inébranlable dans le multilatéralisme.

L’OIT est née sur les profondes blessures de la Première Guerre mondiale et dans le but de lutter contre l’exploitation des travailleurs dans les nations industrialisées de l’époque. Les fondateurs de l’OIT, dont la Belgique, affirmaient l’importance de la justice sociale pour assurer la paix et la sécurité. Le préambule de la Constitution de l’OIT rappelle qu’« une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale » ; mais aussi « qu’il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger ».  Les pères-fondateurs de l’OIT réalisaient « qu’il est urgent d’améliorer ces conditions ».

La Belgique s’est engagée, activement et toujours dans un esprit consensuel, tant dans la préparation que dans la mise en œuvre des objectifs stratégiques de l’Organisation. De nombreux Belges s’y sont investis avec idéal et conviction.  Il y a exactement 75 ans, lorsque la Belgique a introduit le dialogue social et le tripartisme, elle s’est inspirée des valeurs et des conventions de l’OIT. Jusqu’à ce jour, le dialogue social tripartite occupe une place centrale dans l’organisation du travail dans mon pays. Nous y sommes viscéralement attachés. Dans le domaine de la promotion et la mise en œuvre des principes et droits fondamentaux, mon pays a ratifié 113 conventions. Nous déposerons tout prochainement l’instrument de ratification du protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé. Le Protocole vise les formes contemporaines de travail forcé, telles que la traite des êtres humains, et il marque une étape majeure dans la lutte contre le travail forcé dans le monde. L’accès et la création d’emplois décents restent au centre de notre politique d’emploi, comme l’illustre l’accord interprofessionnel pour 2019-2020, qui forme la base pour les accords collectifs sectoriels qui déterminent les conditions de travail de 96% des travailleurs et employés belges.

Je voudrais ici rendre hommage aux efforts soutenus tout au long de ce siècle d’existence et aux progrès réalisés de par le monde grâce à l’action de l’OIT. L’Organisation est parvenue à s’adapter aux multiples événements qui ont émaillé ce centenaire. Elle a survécu à l’abolition de la Société des Nations, à la seconde Guerre Mondiale, à la guerre froide, à la chute du communisme et à la mondialisation. Grâce à sa fonction normative, elle a permis de développer les droits des travailleurs et d’améliorer leurs conditions de travail. Grâce à son action, le travail des enfants a été considérablement réduit, les femmes ont pu accéder au marché du travail, des millions de travailleurs ont échappé à la pauvreté, le temps de travail a été réduit, et la plupart des pays dispose au minimum d’un système de base de sécurité sociale. Les avancées ont été inégales, mais réelles, et cela doit rester une source d’espoir et un encouragement pour votre action future.

Aujourd’hui, après l’énorme chemin parcouru, les déficits de travail décent restent malheureusement encore trop importants. Déjà en 1919 il était reconnu que la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain faisait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs. A l’interdépendance économique, l’OIT a permis de répondre par une coopération sociale internationale pour harmoniser les conditions de travail. Cent ans plus tard, ces considérations demeurent d’une grande actualité. La raison d’être de l’OIT comme parlement mondial du travail se justifie davantage encore dans notre monde actuel en pleine mutation. 

Dans un contexte caractérisé par une globalisation et une interdépendance accrues, l’aggravation des inégalités et le sentiment d’insécurité qu’elles suscitent, la discrimination à l’encontre des femmes, les migrations, la résurgence des replis nationaux et identitaires et la crise du multilatéralisme, la révolution technologique et le réchauffement climatique représentent autant de défis à relever pour assurer un meilleur avenir pour l’humanité. Ces défis sont l’occasion pour l’OIT de prendre un nouvel élan, de formuler de nouvelles réponses sur base des principes éprouvés de solidarité et de démocratie économique. Je salue à cet égard votre initiative, Monsieur le Directeur général, d’avoir créé la Commission mondiale sur l’avenir du travail. Dans son rapport « Travailler pour bâtir un avenir meilleur » la Commission recommande dix objectifs centrés sur l’humain, à poursuivre dans les stratégies nationales, et quelques domaines d’actions plus spécifiques pour l’OIT.

L’Organisation a un rôle important à jouer pour amener tous ses Etats Membres à s’engager concrètement pour plus de justice sociale et à investir dans l’humain. Sous l’effet combiné des changements technologiques et de l’impérieuse nécessité de préserver notre environnement, les modes de travail vont devoir profondément évoluer. Le modèle de croissance classique a atteint ses limites et quelque chose de radicalement nouveau devra s’y substituer.

La digitalisation va supprimer des emplois mais aussi en créer de nouveaux. Une étude effectuée récemment en Belgique a calculé que pour un emploi perdu à cause de la digitalisation 3,7 nouveaux emplois seront créés. Le contenu-même de beaucoup d’emplois existants va changer. La grande majorité des travailleurs devra se reformer, un nombre important devra totalement se recycler. Il y a là une grande responsabilité pour les autorités, les employeurs et les syndicats. Les employeurs doivent s’engager à offrir la possibilité à leurs employés de mettre à jour leurs compétences. Les travailleurs qui exercent un métier en déclin, doivent recevoir à temps le soutien nécessaire pour se reconvertir.

L’ensemble de ces transformations nécessite une grande vigilance dans nos pays, mais aussi une grande inventivité de la part de l’OIT. Il faudra défendre les avancées sociales du passé contre de nouvelles logiques économiques. Il faudra protéger et stimuler le modèle tripartite inclusif et le dialogue social. Ils sont à la fois des facteurs de stabilisation et des atouts immenses pour mieux gérer la transition.

Mesdames et Messieurs,

La protection de la dignité humaine est un principe absolu qui doit nous guider au milieu des bourrasques actuelles et encore à venir de ce 21ième siècle. C’est fort de cette conviction que la Commission mondiale sur l’avenir du travail propose comme principaux terrains d’action des mesures visant à l’investissement dans le potentiel humain et dans le travail décent et durable. Pour réaliser les objectifs fixés, cela exigera encore de profonds changements dans les économies avancées et à fortiori dans celles qui hébergent aujourd’hui les quelque deux milliards de travailleurs du secteur informel dans le monde.

Monsieur le Directeur-Général,

Mesdames et Messieurs les membres de la Conférence,

Le plein emploi productif et un travail décent pour tous figurent parmi les Objectifs de développement durable. Le chemin à parcourir pour réaliser cet objectif sera difficile et long. Le monde du 21ième siècle, avec ses transformations radicales et ses nouveaux défis, a bien besoin d’une organisation chevronnée comme la vôtre pour veiller à préserver la dignité humaine.

J’exprime le souhait que, dans le cadre plus large des Nations Unies, l’OIT continue à baliser l’évolution de la justice sociale et que vos efforts contribuent à un avenir meilleur pour tous les travailleurs, les hommes comme les femmes. Je vous souhaite tout le succès dans la poursuite de votre belle mission.

 

 

Seul le prononcé fait foi.